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C'est un peu court, jeune homme !



Vous avez dit "nouvelles" ?

Lorsqu’il s’agit de définir la nouvelle, le premier critère évoqué, et bien souvent le seul, est en général celui de la brièveté, critère qui l’opposerait donc au roman, par « définition » long. Eh bien, « C’est un peu court, jeune homme ! » il me semble, comme aurait dit un personnage de pièce de théâtre cher à mon cœur, qui aurait préféré avoir du court là où il avait du long...

Pourtant, ce critère ne fait pas l’unanimité, si l’on en croit les indications que certains éditeurs mentionnent sur les couvertures des ouvrages qu’ils éditent : les Microfictions de Régis Jauffret, par exemple (500 textes de 2 pages chacun), sont annoncées comme « roman », tandis que La Rêveuse d’Ostende, parue dans le recueil de nouvelles éponyme d’Éric-Emmanuel Schmitt fait déjà 115 pages, et qu’Un après-midi chez Rock Hudson de Mercedes Deambrosis, annoncé comme « roman », compte, lui, 103 pages. Stendhal, souvenons-nous, qualifiait, dans son avertissement au lecteur, La Chartreuse de Parme de « nouvelle », un beau bébé tout de même : 530 pages en livre de poche !

Ce petit relevé non pour chipoter le choix des éditeurs et des auteurs, mais pour souligner qu’à l’heure actuelle, la nouvelle a pour le moins les contours et le gabarit flous… C’est pourquoi l’on peut penser que sa définition n’est pas à chercher dans un nombre de pages minimum ou maximum, mais ailleurs.

Le critère de la longueur n’est cependant pas absurde ; il a même trouvé sa pleine justification tout au long du XIXe siècle, avec le développement de la presse quotidienne bon marché, qui devait elle-même une bonne partie de son essor au développement de la lecture dans tous les milieux socioculturels (merci Jules Ferry…).

Avec l’essor des journaux, en effet, la nouvelle trouve une tribune de choix et les auteurs une source non négligeable de revenus, car le XIXe siècle, c’est aussi l’émergence d’un statut nouveau de l’écrivain, qui va essayer (le fou !) de vivre de sa plume.

La conséquence immédiate en sera que la nouvelle (dont l’histoire remonte bien plus loin, mais nous en parlerons une autre fois) se voit imposer une norme quantitative. Elle va devoir obéir à un cahier des charges imposé par son support de publication. C’est donc à la presse que la nouvelle doit sa brièveté, qui constituera pour longtemps une part importante de son identité.

Certains auteurs du XIXe et du début du XXe l’ont même définie par rapport au temps nécessaire pour la lire. « Tout ce qui peut être lu en une demi-heure », selon Herbert Wells. Poe, lui, indiquait une heure. Pour Gide, « La nouvelle [était] faite pour être lue d’un coup et en une seule fois. » Dans les pulp magazines américains, on notait même la durée nécessaire à sa lecture à la seconde près !

La brièveté n’est un critère ni nécessaire ni suffisant à l’heure actuelle, semble-t-il donc, ce qui laisse supposer que l’identité de la nouvelle serait plutôt à chercher dan ses aspects structurels, dans les choix de narration, de traitement des personnages, des lieux et du temps.

(à suivre...)


(Article paru sur le site de la revue LiredesNouvelles.com)

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